Mélanie Berger
Exposition Ricochet – » On the one hand «
Mélanie Berger revient à L’H du Siège pour cette exposition Ricochet intitulée On the one hand, permettant de mesurer le chemin parcouru depuis sa résidence Coup de pouce au printemps 2010 dans notre centre d’art. À cette période, elle développait notamment des projets d’animation en stop motion. Née en 1979 à Grenoble, elle vit et travaille actuellement à Bruxelles. Elle a réalisé ses études à l’ENSAD à Paris et à la Cooper Union de New York. La pierre angulaire de sa pratique artistique est le papier. Son médium de prédilection est le dessin, quand bien même elle délaisse depuis plusieurs années les crayons de couleur au profit de techniques de lavis : l’aquarelle, le pigment et l’huile de lin.
Processus de travail : lenteur, accidents et révélations
« Mes gestes sont là pour révéler quelque chose qui ne m’appartient pas » nous dit Mélanie Berger.
Le processus de travail est lent, l’approche joyeusement empirique. À l’image d’un laboratoire, les gestes de l’artiste relèvent de la chimie voire de l’alchimie. En mettant de côté l’intention, le travail graphique et pictural s’inscrit dans une temporalité longue, faisant la part belle aux accidents, à l’étonnement et aux révélations. Pour ce faire, elle travaille directement au sol, de manière immersive et « en aveugle », l’empêchant toute vue d’ensemble. Son mode opératoire est de l’ordre du palimpseste et de l’imprévisible, par actions et couches successives : tracer, gommer, étaler, diluer, imprégner, superposer, laisser faire et agir la matière… À la rapidité et la gestualité de ses séries de dessins des débuts se succède un travail temporel plus lent, par strates, au sein d’un même papier. Plus récemment, la stratification a lieu par la superposition de plusieurs supports, réagissant à l’unisson (par contact) et en différé (dans le temps) aux processus d’imprégnation et de dilution de pigments à l’huile de lin.
Abstraction & Nature
Ses dessins sont un éloge du transitoire. Bien que l’attrait pour la Nature et la tradition du paysage sont bels et bien présents, et déterminants dans la trajectoire de l’artiste, le champ d’investigation exploré relève de l’abstraction. Ode à la couleur et à la vibration, on imagine, en voyageant dans l’Œuvre de Mélanie Berger, autant la présence bienveillante et lumineuse de Turner, des artistes de l’école de Fontainebleau, du Monet des Cathédrales ou de Giverny, que de l’histoire de la peinture abstraite américaine du XXème siècle, sa dimension foisonnante ou contemplative (Joan Mitchell, les peintres du colorfied, Mark Rothko, Morris Louis…) ou encore le travail photographique de Jan Dibbets avec ses Color Studies.
Dessin infini et revers de l’image
Chez Mélanie Berger, le dessin revêt une dimension fondamentalement labile, vivante et mouvante. Elle dit « chercher une image qui ne s’arrête jamais », « une image apparaissante, une image qui ne serait pas une image terminée, qui ne serait pas nommée ». La dimension atmosphérique et informelle de son travail est recherchée à dessein. Le papier, et par extension le dessin – tracé et support – est une entité physique vivante qui évolue, s’altère, interagit avec l’air, la température, la lumière, l’humidité, les bactéries et le contact avec les autres dessins. Le papier, de nature non stérile, peut être préparé, usé, altéré, boursouflé, impacté, contaminé, imprégné de part et d’autre. Le titre de l’exposition, écho à l’expression anglaise « one the one hand, on the other » (d’un côté et de l’autre) évoque autant l’importance de la main – the hand – que l’utilisation du revers du support. L’artiste travaille simultanément plusieurs papiers qui entretiennent une mémoire commune, qui ensuite s’individualisent pour faire d’autres rencontres. Le papier est envisagé de manière organique, telle une peau, avec un envers et un revers, sujet aux échanges et interactions infinies.
Grand alphabet mouvant.
Mélanie Berger envisage ses dessins comme les « parties d’un grand alphabet », « des phrases » à recomposer de manière fluide et inédite en termes d’accrochage, en répondant aux nécessités du lieu : son volume, sa lumière, son atmosphère. Pour L’H du Siège, elle souhaite « rebattre les cartes » d’une partie de son corpus de dessins, sans volonté chronologique, pour créer de nouvelles constellations. Celles-ci sont déployées sous formes de compositions horizontales et verticales, en dialogue avec l’espace. La contamination des pigments et de l’huile entre les papiers continue ici d’opérer par de nouvelles cohabitations. L’exposition On the one hand aborde « les deux côtés du papier » et célèbre « l’hésitation à en montrer l’un plutôt que l’autre, à cacher ou à révéler ».
Transformations silencieuses
Véritable théâtre des apparitions, des disparitions et des émanations, la démarche de Mélanie Berger célèbre le transitoire de phénomènes et de mondes en devenir. Ses dessins déploient des cosmogonies fugitives au sein desquelles se rencontrent l’infiniment petit et l’infiniment grand ; où les tâches, moisissures et pigments deviennent magmas bouillonnants, hypnotiques et incandescents. Des surfaces de gestation, de contemplation et d’éblouissement. Des transformations silencieuses.
* Sans titre, pigments et huile de lin sur papier, 50 x 70 cm, 2023. Photo : Regular Studio